Roberto Alagna

Roberto Alagna

2010 - CONCERTS SICILIEN

Lorsque nous nous sommes parlé la dernière fois, pour les dix ans de Classica il y a un an et demi, cet album était encore en cours de mixage, et vous nous aviez dit que c’était le projet dont vous étiez le plus fier.
— Oui, et j’en suis d’autant plus fier maintenant, car il a marché et les gens y ont vraiment adhéré. Récemment, lors d’un concert Sicilien aux Arènes de Nîmes devant dix mille personnes, je me suis rendu compte que l’album était devenu un phénomène... Dans la captation que vous verrez bientôt en DVD, je m’arrête soudain de chanter et je fais reprendre tout le stade en chœur ! Avec mon précédent disque consacré à Luis Mariano, je rendais un hommage à un artiste que j’aime, mais ça n’était pas moi. Je me calquais sur un tempérament et je jouais quelqu’un — la lumière, le sourire d’un ténor sans pareil. Mais derrière le sourire, ma nature est aussi dramatique, sombre, nostalgique, un peu triste, passant d’un excès à l’autre — romantique, tout simplement —, et c’est ce tempérament que j’insuffle à Sicilien. Contrairement à l’album Luis Mariano, je pourrais faire vivre Sicilien pendant dix ans. Car c’est moi.
 
L’album arrive aussi après la parution de votre livre Je ne suis pas le fruit du hasard — et vis-à-vis du public, un lien biographique plus direct s’est peut-être tissé.
— Tout à fait. Il m’est arrivé de voir pleurer les gens alors qu’ils ne comprenaient pas les chansons. Ces sentiments sont authentiques. Comme lorsque je chante pour ma fille.
 
Et vous pensez faire passer ces sentiments plus directement qu’avec Verdi ou Puccini ; n’est-ce pas paradoxal pour un chanteur d’opéra ?
— Les sentiments sont ici plus concentrés, cela fait la force de ces chansons. À l’opéra, certains passages génèrent une insoutenable émotion, mais on passe à autre chose. J’ai énormément aimé chanter cette année Cavalleria rusticana et Paillasse ; à Orange, les spectateurs ont reconnu le Sicilien dans les personnages de Canio et Turiddu. D’ailleurs, j’ai lu ici et là dans des critiques que mon tempérament sicilien ressortait dans Paillasse. Car l’histoire de Canio est aussi celle de notre vie de tous les jours : celle d’aller chanter quoi qu’il advienne parce que les spectateurs ont payé. Peu importent nos problèmes privés, il faut oublier, se donner à son public...
 
On sent que vous êtes de plus en plus impliqué dans des rôles quasi autobiographiques.
— C’est parce qu’on me connaît davantage.
 
Mais vous avez souvent mis vos sentiments personnels dans les rôles que vous choisissez. Comme s’il n’y avait pas de "composition" à proprement parler.
— C’est vrai. J’ai toujours dit que je ne composais pas les rôles. C’est toujours une recherche, une quête d’identité. Je pratique à chaque fois une forme de thérapie avec mes personnages.
 
N’est-ce pas dangereux ?
— Si, ça l’est. Au moment de la série des Werther à Turin, j’ai cru que j’allais mourir tant je me retrouvais quasiment dans la situation du héros de Massenet ; c’était insoutenable. Nous étions en juin 2005, au début de mes problèmes de santé, je faisais une sorte de dépression et je sentais que la force me quittait, moi dont l’énergie ne m’abandonnait jamais. C’était au moment où Angela et moi commencions également à ne plus aller très bien et songions à séparer nos carrières. Incarner Werther n’a fait qu’empirer les choses, et lorsqu’on regarde la captation du spectacle, cette descente aux enfers est réellement palpable. Dans le prolongement, il y a eu Orphée de Gluck, comme une résonance de ce Werther. On entre dans le vrai. Quelqu’un a vu ce spectacle et m’a dit : "Orphée, c’est toi." Un chanteur essayant de séduire des fantômes pour un amour perdu.
 
Cette année sera en tout cas une saison presque "tout Carmen" !
— Et j’en suis ravi ! À Londres, j’ai fait récemment la connaissance d’Elina Garanca, qui est l’une des plus belles voix de mezzo d’aujourd’hui. On me l’avait décrite comme une beauté un peu froide, une fille du Nord, et je ne vous cache pas que j’étais un peu inquiet. Mais au moment de répéter Carmen avec elle, le courant est passé à la perfection, peut-être à cause de la relation fusionnelle qui unit Don José et Carmen... Elina est quelqu’un de très chaleureux, une grande chanteuse doublée d’une remarquable actrice. C’est peut-être la Carmen actuelle la plus complète. De sa voix et sa beauté se dégagent à la fois une sensualité très féminine et une force plutôt masculine ; bref, tout ce qui fait le personnage de Carmen.
 
Cela vous aide-t-il à compléter votre interprétation de Don José ?
— Cela me permet d’explorer de nouvelles pistes. Pour la première fois depuis très longtemps, j’ai la sensation que Carmen aime vraiment Don José. Les Carmen d’aujourd’hui sont des femmes libres, qui n’aiment personne et qui méprisent des Don José manipulés comme des pantins. Ce n’est absolument pas le cas ici ; Carmen est attirée par cet amour dangereux, on sent qu’elle tient entre les mains une véritable bombe à retardement. Lors de cette reprise, nous avons dû commencer à travailler avec l’assistant de Francesca Zambello, notre metteur en scène. Mais nous nous sentions comme à l’étroit, car on nous conseillait de nous en tenir au seul cadre de la mise en scène. Par la suite, Francesca nous a rejoints, nous lui avons proposé nos idées et elle nous a fait confiance, par bonheur. Tout en restant dans un espace précis, celui que Francesca avait défini, nous avons pu exprimer notre sensibilité et creuser notre interprétation.
 
Puis il y aura d’autres Carmen — à New York, Berlin, Barcelone...
— Je retrouverai Elina à New York dans quelques semaines, tandis qu’à Barcelone, ce sera ma chère Béatrice Uria-Monzon. Je m’en réjouis, d’ailleurs. Je trouve que Béatrice a acquis une sorte de maturité et de sérénité dans sa vie qui la rendent encore plus belle et talentueuse. En la regardant dans Cavalleria rusticana cet été, j’ai été vraiment troublé par la beauté de son visage et la profondeur de son interprétation.
 
C’est Angela Gheorghiu qui aurait dû incarner en votre compagnie cette Carmen prévue en décembre au Metropolitan Opera de New York, mais elle a annulé "pour raisons personnelles". Votre séparation est aujourd’hui officielle et elle demande même le divorce. Souhaitez-vous réagir ?
— C’est son choix, je le respecte.
 
Depuis vos débuts, pensez-vous avoir fait preuve de suffisamment de prudence en termes de rôles ?
— On dit toujours qu’il faut faire preuve de prudence, attendre la maturité, etc. Mais si je me mettais à enregistrer maintenant tout ce que j’ai fait jusqu’ici, j’aurais bien du mal, et le résultat serait catastrophique. Écoutez les deux Trouvère ou les deux Paillasse de Pavarotti : le premier est évidemment le plus beau ! On est simplement meilleur quand on est plus jeune.
 
N’aurait-il pas toutefois été dangereux d’aborder certains de vos rôles actuels il y a quinze ans ?
— Attention, je parle de prudence, non d’inconscience. J’entends beaucoup de chanteurs affirmer qu’ils aborderont tel ou tel rôle dans vingt ans. Mais ils ne le feront pas ! Il faut, certes, connaître ses limites, mais savoir aussi les dépasser, sans cela la voix ne sortira pas. Si l’on choisit un rôle lourd, on décidera de le faire à sa manière. Le chant possède un aspect athlétique, il exige une force et une santé de fer — y compris lors des enregistrements. À la scène, la maturité apportera beaucoup et offrira des interprétations plus fouillées, mais au disque, ça ne marchera plus, car la brillance se sera envolée. Je le disais déjà il y a quinze ans : il y a des disques à enregistrer jeune, pour l’éclat, pour l’énergie, pour l’insolence de l’âge. Tout cela est bien fragile.
 
Il faut dire qu’à cette époque, vous faisiez deux ou trois disques par an...
— C’était idéal.
 
Aujourd’hui, les disques enregistrés en public se multiplient, comme Le Jongleur de Notre-Dame de Massenet ou cet Amico Fritz de Mascagni avec Angela Gheorghiu.
— La captation du Jongleur de Notre-Dame a été réalisée en une seule prise. Pas moyen de retravailler dessus. Le résultat n’est pas mauvais... On peut trouver que le son n’est pas toujours parfait, mais il y a quelque chose de vrai là-dedans. Quant à L’Amico Fritz, cela faisait longtemps que je souhaitais l’enregistrer. Des années, même. Il y a dix ans, j’en avais parlé à John Mordler, alors directeur de l’Opéra de Monte-Carlo, et l’idée l’avait immédiatement intéressé. Ce fut d’ailleurs l’une de mes premières productions en compagnie de mes frères. J’ai beaucoup d’affection pour la musique de Mascagni et j’ai toujours trouvé que cette pièce occupait une place assez particulière dans son œuvre. Généralement, ses opéras ont tendance à s’essouffler, dramaturgiquement parlant : on passe de moments absolument merveilleux à d’importantes pertes de rythme, et la construction des œuvres n’est pas complètement homogène. Mais L’Amico Fritz, comme Cavalleria rusticana d’ailleurs, conserve une tension dramatique du début à la fin.
 
Parlez-nous du héros...
— Fritz est un célibataire endurci qui engage un pari avec un rabbin, à qui il fait le serment de ne jamais se marier. Bien sûr, il se retrouve pris malgré lui dans un véritable engrenage amoureux. C’est une histoire à l’eau de rose, pour ainsi dire, mais qui n’en reste pas moins charmante. L’opéra se termine bien, enfin, et c’est assez rare pour être signalé ! Le livret propose des scènes vraiment touchantes, comme celle où les deux protagonistes, Fritz et Suzel, écoutent un violon tzigane et échangent leurs sentiments dans une infinie tendresse. L’univers de cette pièce est très proche de celui de Pagnol, sauf qu’ici l’action se déroule dans une communauté juive d’Alsace.
 
Pour en revenir à la scène, diriez-vous qu’il est physiquement plus difficile de monter sur scène qu’il y a quinze ans ?
— Disons qu’on n’est plus le même. On n’a plus la même résistance. L’animal qui peut enchaîner les sauts périlleux n’est plus là. Récemment, j’ai réécouté par hasard mon disque "Bel Canto" avec Evelino Pidò gravé en 2002 : on croirait entendre un fou en train de chanter sur toutes les tessitures ; maintenant, j’ignore si j’aurais cette énergie !
 
Cela vous rend-il triste ?
— Oui et non... Sachant que ces disques s’enregistraient en quatre ou cinq séances de deux heures, je ne serais pas sûr de pouvoir réaliser la même performance. Je ferais un air par-ci, un air par-là, je me reposerais entre-temps...
 
Votre opération en 2006 a-t-elle ou non amoindri vos capacités actuelles ?
— Avant cette opération [une tumeur bénigne derrière l’œil droit — Ndlr] et quasiment au cours des quatre années précédentes, il m’arrivait de ne rien entendre au niveau des vibrations. Mon timbre s’en ressentait et devenait un peu rêche. Après l’opération, cela a redémarré, avec quelques flottements néanmoins... Mais peu à peu, tout se libère de nouveau, la muqueuse se reconstitue. Certes, il m’arrive d’être encore gêné, mais je remarque que les sensations reviennent. Il faudra encore quelques années, bien sûr, mais si les choses évoluent ainsi, à l’approche des cinquante ans tout ira peut-être mieux qu’avant.
 
Vous intéressez-vous aux jeunes ténors ?
— Bien sûr. Et je trouve qu’on est particulièrement gâtés ; on a de vraies personnalités et de bien belles voix pour tous les répertoires, de Rolando Villazon à Jonas Kaufmann en passant par Alvarez, Cura, Giordani, Beczala, Grigolo, Secco, Florez, Brownlee, Botha, Heppner, Costello, Valenti, Siragusa, Osborn, Fanale, Calleja, Vargas et beaucoup d’autres. C’est un peu plus dur pour les sopranos lyriques. Et pour les barytons, c’est une catastrophe.
 
Pour quelle raison ?
— On leur fait peur. Toujours cette fameuse prudence dont je vous parlais... On ne peut pas développer une voix en restant prudent. On assure aux barytons qu’il faut se limiter à Mozart, et ils le font parce que ça fait bien chanter, mais ça ne développe pas la voix, au contraire. On ne peut pas être toute sa vie le Comte, Don Giovanni ou Leporello. Les barytons du passé chantaient tout, y compris Verdi — et même très jeunes. Il leur arrivait évidemment d’échouer, mais ils travaillaient à partir de leurs propres ressources.
 
Rétrospectivement, quel est à ce jour le rôle le plus difficile que vous ayez abordé ?
— J’ai toujours répété que tout était difficile... Mais j’avoue que la fin de Lucia di Lammermoor est particulièrement ardue. J’en ai toujours gardé des souvenirs bien précis, et comme je retravaille actuellement le rôle d’Edgardo, que je vais reprendre prochainement à Berlin, je peux vous garantir que les difficultés sont bien réelles. Cyrano de Bergerac d’Alfano est lui aussi très exigeant, quand on le chante dans la version de 1935. Mais aussi la fin de L’Amico Fritz de Mascagni, très dure... Et que dire de la "Sicilienne" de Cavalleria rusticana ! Une seule harpe sous la voix, totalement à nu, et dès les premières mesures.
 
Hormis vos apparitions annuelles à Orange et votre tournée Sicilien l’an prochain, quels sont, concrètement, vos projets scéniques en France ?
— Des choses, dont certaines surprenantes, sont prévues à l’Opéra de Paris avec Nicolas Joel. Faust, Francesca da Rimini de Zandonai avec Svetla Vassileva. On m’a également proposé Alceste de Gluck au Palais Garnier. À Orange enfin, je chanterai Tosca l’année prochaine et Turandot dans trois ans.
 
Quid du Dernier jour d’un condamné, l’opéra de vos frères ?
— Il est actuellement monté, sans moi, en Hongrie, dans une production de Nadine Duffaut ; j’aimerais le reprendre et en proposer une version destinée à la télévision. Mon frère David prépare également pour moi un nouvel opéra sur Jean Paul II, plus précisément sur les dix jours précédant son élection. Sans compter les projets, déjà bien avancés, avec les compositeurs Laurent Petitgirard et Patrick Burgan...
 
Laurent Petitgirard ? Patrick Burgan ? Mais encore ?
— J’aime énormément le travail de Laurent Petitgirard, à qui j’avais autrefois écrit un mot pour le féliciter de son opéra Joseph Merrick dit Elephant Man, tant pour sa musique que pour son sens théâtral. Il m’a téléphoné un jour et m’a demandé si je pouvais être intéressé par un opéra sur le grand magicien Houdini. J’ai trouvé l’idée formidable, d’autant qu’Houdini a été un héros de mon enfance. L’idée a fait son chemin, et je vais donc avoir le plaisir de créer ce rôle prochainement. Quant au projet avec Patrick Burgan, là, c’est moi qui lui ai fait la proposition ! J’avais lu, vu et beaucoup admiré au théâtre les Variations énigmatiques d’Éric-Emmanuel Schmitt, tant et si bien qu’après une représentation, je m’étais fait la réflexion : pourquoi ne pas en faire un opéra avec deux ténors ? J’en ai parlé à Éric-Emmanuel Schmitt qui s’est montré au départ assez surpris, mais il a été emballé lui aussi et s’est laissé prendre au jeu. J’avais beaucoup apprécié le Peter Pan de Patrick Burgan, avec ces sonorités surnaturelles, comme venues d’un autre monde. J’ai mis Patrick et Éric-Emmanuel en contact, et ils travaillent ensemble en ce moment. Patrick pensait écrire un rôle de ténor et un rôle de baryton, mais il a apprécié l’idée des deux rôles de ténor. Le livret est terminé, nous en sommes à la phase de composition... mais j’ignore encore quel rôle je tiendrai. L’idéal serait que les deux voix soient assez semblables, de manière à pouvoir échanger les rôles certains soirs. Je pourrais même enregistrer un disque en interprétant les deux rôles à la fois, qui sait ? Ce qui est passionnant en tout cas, c’est ce jeu de miroirs.
 
Plusieurs projets au cinéma ont aussi été évoqués, dont un Barbier de Séville avec Coline Serreau...
... qui ne se fera pas. Dommage, car l’idée me plaisait, et il y avait bien des choses à imaginer autour d’un tel film, notamment la manière de raccourcir l’œuvre, de façon à ne pas dépasser les deux heures pour la télévision. Je voulais y introduire un peu de nouveauté, et même chanter les récitatifs à la guitare. Mais il y a eu des réticences ; je me suis retiré du projet, et je crois que l’ensemble est tombé à l’eau.
 
Et ce film autour de Wagner réalisé par Jean-Louis Guillermou ?
— C’était une expérience passionnante et les scènes ont déjà été tournées cet été à Nice, au Musée Masséna. J’y interprète le rôle de Joseph Tichatschek, un ténor très apprécié de Richard Wagner qui fut aussi le créateur du rôle-titre de Tannhäuser. Dans le film, au moment où j’interprète "Stets soll nur dir", au premier acte de Tannhäuser, le pianiste n’y entend strictement rien, déchiffrant sa partition et jouant complètement faux. Je suis exaspéré, je regarde Wagner (Jean-François Balmer), lui fais signe de tout arrêter, et il finit par me dire qu’on reprendra le lendemain... Il y a aussi dans le film une répétition de Lohengrin, où Nathalie Manfrino et moi-même chantons le duo "Das süsse Lied verhalt"...
 
Les opéras de Wagner vous attirent-ils ?
— Je me dis de plus en plus qu’il faut que j’en aborde un, sans savoir encore lequel. Lors de ce tournage, je me suis vraiment régalé. De même, il y a longtemps que je souhaite enregistrer un disque d’airs allemands.
 
Vous les a-t-on déjà proposés ?
— Pas encore. Mais j’attends... Car j’aime qu’on me fasse des propositions, je ne réclame pas. Lors de ce tournage, j’ai travaillé cette musique et cette langue inconnues comme un étudiant. Vous ne pouvez pas imaginer le plaisir de découvrir un domaine dans lequel on n’a aucun repère. Je suis un énorme bosseur. Travailler est ce qui me plaît le plus sur terre... En fait, je me demande s’il y a un rôle qui ne m’attire pas. [Rires.] Dans l’idéal, j’aurais voulu faire Figaro. Mais aussi Athanaël dans Thaïs, par amour pour le rôle, car c’est écrit pour baryton. Pour choisir un opéra, il faut que je sois amoureux non seulement de mon personnage, mais aussi de l’oeuvre, de la musique, et de tous les autres personnages. Quand la musique me plaît, je me plonge dans ce défi permanent qu’est une partition, cherchant dans ses moindres recoins la clé de l’énigme qui me permettra de chanter le rôle à ma façon. Oui, tout me plaît. Les Troyens me plaisent depuis longtemps, j’en ai enregistré des extraits, j’espère qu’un projet scénique se concrétisera. 
Pour la saison 2012, on m’a proposé de chanter Aïda et L’Élixir d’amour au Covent Garden de Londres. C’est de la folie, je l’avoue, mais j’ai accepté. Je suis toujours obligé de retravailler, de me recentrer, de chercher au plus profond de moi-même d’autres ressources. Le rôle de Nemorino dans L’Élixir, que je n’ai plus chanté depuis la production du Met il y a dix ans, sonnera autrement, c’est certain, et je vais devoir rendre crédible le personnage malgré la maturité, malgré l’état de ma voix, donner une sincérité et une vérité à ce personnage. Voilà la magie de la musique. Peut-être y aura-t-il aussi La Dame de Pique, qui sait ? Une mélomane russe m’a récemment envoyé la partition, j’y perçois un signe. Plus sûrs en revanche seront Ernani de Verdi, Le Cid de Massenet à l’Opéra de Marseille, Adriana Lecouvreur de Cilea, Andrea Chénier de Giordano...
 
... que vous deviez d’ailleurs aborder à Monte-Carlo. Pourquoi avez-vous annulé cette prise de rôle ?
— Je n’avais pas eu le temps de le travailler et j’étais en pleine tournée de Sicilien. L’écart était trop grand. Prochainement, je vais y faire un récital où je chanterai presque tous les airs et les duos d’Andrea Chénier, en compagnie de Svetla Vassileva. Ce sera une manière pour moi de faire cadeau de ma prestation au public qui n’avait pas pu me voir sur scène. J’espère pouvoir chanter ce rôle à une période où je serai vraiment en voix pour cela.
 
Ce Sicilien étant une sorte d’album-miroir, quel projet, hors opéra, pourrait être encore plus personnel ?
— J’espère pouvoir, un jour, enregistrer les chansons que j’écrivais à dix-sept, dix-huit ans. Il en existe une centaine et elles sont d’une sincérité désarmante. J’ai en ce sens un projet avec Jean-Félix Lalanne.
 
Un autre projet fou ?
Le Cyrano de Bergerac d’Alfano au Stade de France. Ce sera du grand théâtre !


08/03/2018