Roberto Alagna

"LE DEUXIÈME PRINTEMPS D'ALAGNA" par André Tubeuf pour Le Point (04.08.2016) | "Croyant à ce qu'il fait, il s'y met tripes, cœur et esprit"

 

EXTRAIT :

 

"C'est plutôt rare, un ténor qui oublie ses cordes vocales, ne craint pas les courants d'air mais s'éclate en scène, dégringole des meules de foin, s'ébroue comme un jeune chien. C'est ça qu'on a vu à l'automne 2015 sur la scène de Bastille. Roberto Alagna, 53 ans, retrouvait l'Elixir d'amour" de Donizetti, un triomphe de ses 30 ans. A côté de lui sur scène, Aleksandra Kurzak, soprano polonaise, sa femme aujourd'hui, et la mère de sa petite Malèna. C'est elle, l'élixir ! Et Roberto s'ébroue. Le rôle est bouffe et le permet : encore faut-il pouvoir, et Pavarotti n'aurait pu, question de format. Quelle forme athlétique ! Et quelle fraîcheur vocale ! [...]

 

Dans le genre noble (et pas précisément clément à la voix), du chant français, il a nous a aligné coup sur coup "Pénélope" de Fauré, "Les Troyens" de Berlioz, "Le Cid" de Massenet, "Le roi Arthus" de Chausson, "Vasco da Gama" de Meyerbeer. A Munich aujourd'hui il aborde "La Juive" d'Halévy : le voilà carrément fort ténor, carrément tragédien. Et à côté de lui, Aleksandra, d'un coup mûrie, transformée : tragédienne elle aussi. C'est elle, Rachel (oui "Rachel, quand du Seigneur" c'est dans La Juive et c'est Roberto qui y fait acclamer ce tube absolu de l'opéra français). Belle conclusion pour une saison harassante. Au Met, à Londres, à Vienne, Roberto s'est multiplié, toujours vibrant, toujours grand public, dans "Carmen", "Butterfly", la "Manon Lescaut" de Puccini [...].

 

Premier secret de jouvence : croyant à ce qu'il fait, il s'y met tripes, cœur et esprit. [...] L'autre secret, évidemment, c'est le bonheur. Toutes ces rudes années où le chanteur de cabaret voulait se faire oublier pour que s'affirme le ténor d'opéra, comme un forcené, il enchaînait "Rigoletto", "La bohème", "Roméo", "Werther", pendant que sa jeune femme mourait d'un mal cruel, le laissant avec leur petite fille. Il a pu se dire alors que les épreuves assumées enrichissent l'homme, et le chanteur n'en communiquera ses émotions que mieux. Depuis la naissance de Malèna, il ose se dire qu'on ne chante jamais aussi bien que quand on est heureux. "La Juive" nous a fait entendre un Sisyphe ténor, et heureux de l'être." 

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"THE NEW SPRING OF ALAGNA" by André Tubeuf for Le Point (08.04.2016) | "As he believes in what he does, he sings from his guts, with all his heart and soul"

 

EXCERPT: (translated from French)

 

"It is rather rare, a tenor who forgets his vocal cords, doesn't mind the drafts but has a ball on stage, tumbles down the haystacks, snorting and playing happily like a young dog. That's what we saw in the fall of 2015 on the stage of Bastille. Roberto Alagna, 53, was returning to the "Elixir of Love" by Donizetti, a triumph of his thirties. Alongside him on stage, Aleksandra Kurzak, Polish soprano, now his wife, and mother of his little Malèna . She is his elixir! And Roberto frolicks. The role is buffa and allows it: but you still need to be able to do it, and Pavarotti would not be, question of format. What an athletic fitness! And what a fresh voice! [...]

 

In the noble (and not exactly kind for the voice) genre of French singing, he offered back-to-back performances in "Penelope" by Fauré, "Les Troyens" by Berlioz, "Le Cid" by Massenet, "King Arthus" by Chausson, "Vasco da Gama" by Meyerbeer. In Munich now he tackles "La Juive" by Halevy: Here he is a straight powerful tenor, outright a tragedian. And alongside him, Aleksandra, suddenly matured, transformed: great actress too. She is Rachel (yes, "Rachel quand du Seigneur" is in La Juive and Roberto is the one who makes the audience cheering this absolute hit of French opera). Fine conclusion to an exhausting season. At the Met, in London, Vienna, Roberto has multiplied, always vibrant, always popular, in "Carmen", "Butterfly", "Manon Lescaut" by Puccini [...].

 

First secret of youth: as he believes in what he does, he sings from his guts, with all his heart and soul. [...] The other secret, of course, is happiness. All those rough years when the cabaret singer would be forgotten to establish himself as an operatic tenor, working like a madman, he chained "Rigoletto," "La Bohème", "Romeo", "Werther", while his young woman died of a cruel disease, leaving him alone with their young daughter. It was said then that coping with the hardships of life makes you a richer human being, and that the singer was even better conveying his emotions. Since the birth of Malèna, he dares to say that you can't sing as well as when you are happy. In "La Juive", we heard a Sisyphean tenor, and happy to be so. "