LE DERNIER JOUR D'UN CONDAMNE - David Alagna - Avignon
Oeuvre
Le Dernier Jour d'un Condamné
Drame intérieur en deux actes et un intermezzo
Livret de Roberto, David et Frederico Alagna
D'après le roman de Victor Hugo (1829)
Créé en version de concert le 8 juillet 2007 au Théâtre des Champs Elysées à Paris
Créé en 2009 à l'Opéra de Debrecen (Hongrie)
Créé en 2014 à l'Opéra d'Avignon (France)
Distribution - Calendrier
09 mars 2014
12 mars 2014
Revue de Presse
Carlo Ciabrini - 14 mars 2014
C'est une œuvre noire, cruelle et très dure. Bruneau avait Zola. Alagna s’est emparé d’Hugo dans un vibrant plaidoyer contre la peine de mort. L’opposition des deux décors blancs et noirs est saisissante.
Ce qui me frappe le plus c'est l'engagement scénique de Roberto Alagna. Le rôle est éprouvant vocalement et nécessite une présence permanente sur la scène. Vers la fin du spectacle le bourreau saisit la chevelure du condamné pour lui faire relever la tête, à ce moment le regard que jette le ténor témoigne de son identification au personnage.
C’est un ouvrage qui mériterait sa place dans le répertoire d’un grand théâtre.
Operaworld - Corinne Le Gac - 11 mars 2014
Un choc ! Voilà ce que l’on ressent tout au long de cet ouvrage que nous offre l’Opéra Grand Avignon. « Le dernier jour d’un condamné » est un puissant plaidoyer contre la peine de mort, d’après le superbe roman de Victor Hugo, et l’adaptation qu’en a fait la fratrie ALAGNA ne fait que renforcer cette impression d’oppression. La musique de David ALAGNA est à la fois pleine de douceur et de lyrisme, mais également d’une rare violence qui n’est pas sans rappeler celle de Chostakovitch notamment dans « Lady Macbeth de Mzsensk » ou Moussorgski dans « Boris Godounov ». La mise en scène de Nadine DUFFAUT est claire, lisible et efficace. Elle a fait le choix de couper la scène en deux parties distinctes, deux époques différentes, mais un seul sujet identique : deux condamnés à mort vont mourir ! Qu’il s’agisse du prisonnier de 1820 dans son cachot minable ou de la condamnée américaine des années 2000 dans sa prison aux murs carrelés de blanc, peu importe : l’histoire est la même. Ces deux personnes, bien que coupables, vivent leurs dernières heures, repensent aux gens qu’ils laissent derrière eux. Parfois ils acceptent leur sort, parfois ils se révoltent, mais rien ni fait : ils vont mourir ! Il y a une véritable connexion invisible entre ces deux personnages qui ne se croisent jamais tout en étant parfaitement interchangeables, comme le prouve l’image finale.
Un très beau travail d’interprétation également de la part de tous les protagonistes et en priorité Adina AARON et Roberto ALAGNA. Si quelques grincheux ont écrit un jour que Roberto ALAGNA n’était qu’un chanteur et un piètre comédien, qu’ils viennent le voir dans ce rôle pour juger du contraire parce qu’il atteint ici son paroxysme d’interprétation. Comment ne pas trembler devant sa révolte lorsqu’il saccage sa geôle ? Comment ne pas avoir le cœur serré lorsqu’il entonne son air du 2ème acte «… qu’on m’aille donc chercher quelque jeune vicaire… » ? Comment ne pas pleurer lorsqu’il réclame encore quelques minutes de vie avant de mourir ? Impossible de rester insensible à tout cela à moins d’avoir le cœur sec ! Même vocalement il va au bout de ses limites, repoussant la frontière du possible jusqu’à l’impossible, sans jamais l’atteindre. Il donne toujours le meilleur de lui-même, ne triche pas dans ses interprétations, mais cette fois il a est arrivé à un niveau jamais encore égalé : du Grand Art !!! Non seulement il est dans un état vocal éblouissant mais comme toujours nous ne ratons pas un mot du texte grâce à cette diction si parfaite et cette prononciation exemplaire qui ne trouve pas d’équivalent actuellement.
Sa partenaire Adana AARON nous gratifie elle aussi d’un français très intelligible (même si l’on entend parfois qu’elle est étrangère), ce qui est fort appréciable. La partition redoutable la prend parfois un peu en défaut dans les extrêmes aigus mais dans l’ensemble sa prestation est excellente tant au niveau vocal que sur le plan de son interprétation scénique qui ne souffre aucun reproche majeur.
Tous les autres protagonistes tiennent parfaitement leur place, même si leurs interventions sont un peu éclipsées par les deux rôles principaux, avec notamment une intervention très remarquée de Christian HELMER dans le rôle bref mais intense du Friauche. Belle direction d’orchestre de la part de Balazs KOCSAR qui ne laisse jamais les pupitres couvrir les chanteurs malgré une écriture souvent violente. Les chœurs sont également bien en place et je ne voudrais pas oublier de féliciter le travail de la décoratrice, de l’éclairagiste et de la costumière qui ont largement contribués au succès de ce spectacle.
On a l’habitude de dire qu’une première n’est pas toujours au point mais cette fois-ci ce n’est pas le cas comme le prouvent les dix minutes de rappel en fin d’ouvrage. Il est vrai que l’Opéra Grand Avignon a la chance de bénéficier d’un plateau tournant, ce qui évite ainsi les interminables changements de décors de certains autres théâtres.
Un grand merci à la Direction d’avoir pris le risque de monter cette production, en espérant que d’autres scènes suivront cet exemple, et surtout un grand bravo à l’ensemble des intervenants.
Forum Opera - Fabrice Malkani - 11 mars 2014
Triple triomphe des frères Alagna
Quatre ans avant le succès de Claude, opéra de Thierry Escaich sur un livret de Robert Badinter d’après Claude Gueux de Victor Hugo (voir recension de la création à Lyon), les frères Alagna avaient déjà eu l’idée d’un opéra contemporain inspiré de l’œuvre du poète, et plus particulièrement de son réquisitoire littéraire contre la peine de mort, Le Dernier Jour d’un condamné. Sur un livret efficace et percutant, habilement coécrit par Roberto, David et Frederico Alagna, David Alagna a composé une musique belle et forte, bouleversante de lyrisme et de noirceur à la fois, parfaitement adaptée à la prosodie de la langue française si bien servie au chant par Roberto Alagna. On ne peut que rester confondu que cette œuvre ne soit pas encore davantage connue, et il faut rendre hommage à l’Opéra Grand Avignon de l’avoir programmée cette année pour sa création scénique en France. Rappelons que Le Dernier Jour d’un condamné a été créé en 2007 en version de concert au Théâtre des Champs-Élysées, et que sa création scénique à l’Opéra de Debrecen, en Hongrie, date de 2009.
La mise en scène de Nadine Duffaut est d’une intelligence et d’une lisibilité exemplaires, donnant à voir l’essentiel tout en laissant place à l’imaginaire et à la réflexion du spectateur. Point de querelle ici entre le choix d’une représentation « traditionnelle » et d’une relecture contemporaine : c’est la juxtaposition, et même, à la fin, l’interchangeabilité de l’ancien et du moderne qui prévaut, puisque la question de la peine de mort reste – hélas ! – d’actualité. Deux parties mobiles et pivotantes de la scène permettent de présenter la paille humide du sombre cachot du XIXe siècle où croupit le condamné, et la salle carrelée de blanc où attend une condamnée du XXIe siècle, dans le dénuement et la solitude. Plus tard, de rapides mouvements rotatifs permettent d’ouvrir la cour de la prison où les condamnés aux galères perdent leur identité pour devenir des forçats indifférenciés, sous la pluie et les quolibets des gardiens.
Les décors d’Emmanuelle Favre, les costumes de Katia Duflot sont justes et sobres. Le texte adapté de Victor Hugo est distribué entre l’homme blanc et la femme noire, le premier plongé dans le noir, la seconde aveuglée par la lumière blanche, avec des effets subtils de clair-obscur à porter au crédit de Philippe Grosperrin. La fugace apparition de la mère, de la femme et de la fille du condamné font place, pendant l’intermezzo – d’une écriture exigeante et d’une grande richesse de coloris –, à la projection d’un film muet, tandis qu’à la fin, lorsque le condamné à la guillotine et la condamnée à l’injection létale échangent in extremis leurs places et leurs univers, les deux enfants, l’une noire, l’autre blanche, se jettent au pied de leur mère/père exécuté-e, dans un cercle lumineux. Belle idée aussi de faire prononcer les premières paroles, en texte parlé, de la condamnée, en américain (alors que l’ensemble du livret est en français) pour donner aux mots leur valeur d’actualité.
Chacun des deux actes est précédé de l’intervention d’une oratrice, version féminine d’un Hugo rhéteur aux accents parfois emphatiques, accompagnée par l’éloquence d’un violon : Catherine Alcover, qu’accompagne à l’instrument Corinne Puel, commence à dire son texte au milieu du public, comme membre du peuple souverain, avant de réapparaître sur la scène, lieu de la médiation artistique (et de l’éducation esthétique), puis dans une loge du théâtre à l’italienne, lieu du pouvoir. En ces trois endroits résonnent le texte et la musique, à la manière de prologues monteverdiens, avant l’action dramatique.
Sur scène, la présence de Roberto Alagna est intense, la voix semble plus que jamais puissante et débordante de lyrisme, la diction parfaite donne à la moindre syllabe une portée singulière. Adina Aaron est une partenaire idéale, avec un art consommé de la projection, des aigus radieux, une longueur de souffle mise au service d’une poésie poignante. À la densité de la composition orchestrale se joint l’art de la fusion du texte et de la musique – par exemple l’utilisation des sons mouillés (« réveiller », « tressaillir ») dans la mélodie, qui rappelle Massenet. Et il y a du Werther dans ce condamné.
On ne peut tous les citer, mais l’ensemble des interprètes contribue au succès de cet opéra, depuis le juvénile friauche à la voix souple et sonore du baryton-basse Christian Helmer jusqu’au vieux prêtre interprété avec une sobre solennité par Jean-Marie Frémeau. Les Chœurs de l’Opéra Grand Avignon et de l’Opéra de Tours réunis donnent avec talent corps et voix aux foules (peuple, forçats, badauds), important contrepoint des figures solitaires des condamnés.
Balàzs Kocsàr dirige avec passion cette musique aux accents parfois romantiques mais jamais complaisante, délibérément tonale mais usant aussi de dissonances, et l’Orchestre Régional Avignon-Provence fait entendre les gouffres qui s’ouvrent et les rayons d’espoir.
C’est un triomphe pour l’ensemble des artistes, particulièrement pour le couple des condamnés, héros de cet opéra à deux voix qui leur ménage de beaux moments lyriques et à chacun un grand air, justement et chaleureusement applaudi. C’est enfin le triomphe des trois frères Alagna, car le librettiste, le compositeur et le chanteur, on le perçoit d’emblée, ont travaillé étroitement, de manière solidaire et proprement familiale, à l’équilibre du texte, de la musique et du chant lyrique. On ne peut que souhaiter à cette importante création contemporaine de connaître plus largement encore le succès qu’elle mérite incontestablement.
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