Roberto Alagna

 INTERVIEW CROISÉE – PROLOG Mai 2018 | SAMSON & DALILA Wiener Staatsoper | ❝ Etudier Samson, c’est un peu comme tomber amoureux. Au plus vous travaillez la partition, au plus elle vous apparaît multidimensionnelle et fascinante. Il est surprenant de voir à quel point cet opéra est riche en termes de mélodies, quelle atmosphère y règne. On y entend des phrases incroyablement émouvantes. Le vrai défi réside dans le phrasé et le texte. En outre : d’un côté Samson doit incarner une certaine maturité, mais aussi la jeunesse. Vous avez besoin de brillance et de clarté vocales pour correctement positionner Samson d’un point de vue musical. ❞

DÉCOUVREZ CI-DESSOUS de larges extraits de l’interview croisée de Roberto Alagna et Elina Garanca par Oliver Láng, traduit en français depuis l’allemand (TO THE ENGLISH TRANSLATION ►https://goo.gl/PEQE7E)

Texte intégral en allemand ►►https://www.wiener-staatsoper.at/…/starke-frau-liebender-h…/

◙ Samson est un personnage très connu : l'histoire biblique dit beaucoup de choses à propos de sa vie, dont une grande partie n’est pas rapportée dans l'opéra. Celui de Dalila l’est par contre beaucoup moins. Est-ce un manque pour l’interprète de Dalila, ou un avantage autorisant une plus grande liberté ?

» Elina Garanča: De façon générale, j'essaie de trouver une trame de fond pour chaque personnage que j’interprète et, si nécessaire, je l’imagine : un passé, une motivation, un but. C'est ce dont j’ai besoin pour commencer - je veux que le personnage soit intéressant dès sa première apparition. Pour Dalila, c'est vrai, nous en savons très peu sur elle. D'où vient-elle ? Qui exerce quel pouvoir sur elle - et pourquoi ? A-t-elle une foi - et si oui : laquelle ? Quelle est sa relation avec le grand prêtre ? Tout est assez flou. Là, je dois me poser beaucoup de questions et c'est un défi de donner vie au personnage de scène. C'est un très bon travail - et cela rend les répétitions intéressantes !

◙ C’est plus facile avec Samson : c'est un héros biblique. Mais est-il vraiment un héros ?

» Roberto Alagna: Bien sûr, incontestablement ! Pour moi, il est le plus grand héros de la Bible. Quand j'étais enfant, ma grand-mère me racontait les histoires bien connues de la Bible : et dans sa version, les images que je voyais étaient encore plus colorées, riches, pittoresques. Tout dans la Bible était encore plus grand, plus impressionnant, plus fantastique dans son récit. Et Samson est rapidement devenu l'un de mes héros préférés. Tout ce qui l'entoure : l'histoire de ses cheveux, qu'il ne faut pas couper, sa grande force, sa taille et sa probité : tout était si merveilleux ! Et pourquoi ? Parce que Samson était non seulement incroyablement fort, mais il pouvait aussi faire preuve d’une certaine vulnérabilité. La Bible nous montre aussi ses failles, ses faiblesses. Qui plus est, aujourd’hui encore il m’apparaît comme un personnage noble: lorsqu’il implore le pardon de Dieu il ne le fait pas pour lui-même. S’il demande le pouvoir, c’est dans le seul but de pouvoir aider son peuple.

◙ Samson est bon. Qu’en est-il de Dalila ?

» Roberto Alagna: Je pense, qu’elle fait partie des grandes jalouses de l'histoire de l'opéra. Elle veut tuer Samson, seulement par jalousie de sa grandeur et de sa force. Il aime son Dieu, il veut aider son peuple et les Philistins ne sont pas assez forts pour le vaincre. Et Dalila arrive, belle, pleine de charme, tout simplement irrésistible. Elle est plus forte que Samson. Et elle seule le mène à sa perte.

» Elina Garanča: Je ne suis pas si sûre de savoir qui est Dalila au fond. Du moins, je ne veux pas représenter le personnage de façon trop simpliste. Beaucoup de personnages féminins majeurs, forts, importants, je les appelle les "stéréotypés", telles que Carmen, Dalila, Amneris et ainsi de suite, sont très rapidement étiquetés comme des « femmes méchantes ». Je veux aller un peu plus en profondeur dans le personnage. Elle ne peut pas être juste noire ou blanche. Dalila est un personnage complexe, et ça m'intéresse !

◙ Au-delà du bien et du mal: comment comprendre la relation entre les deux personnages ? L’amour est là – c’est certain – mais fait-il partie du jeu ? […]

» Roberto Alagna: Il l'aime, cela ne fait aucun doute. Et non seulement il l'aime de tout son cœur, mais il l'aime aussi jusqu'à la fin. Même si elle veut le détruire. Il ne peut pas s’en empêcher. Il est non seulement un grand héros, mais aussi un grand amoureux.

» Elina Garanča: Samson et Dalila savent qu'ils ne peuvent pas être ensemble, mais l'attraction entre eux est particulièrement forte. Que ce soit simplement un réflexe "naturel", qu'il y ait une motivation psychologique ou émotionnelle, telle que la solitude des deux, n'est pas essentiel dans ce contexte. […]

◙ Samson la tue - malgré son amour. Est-ce de l'amour alors?

» Roberto Alagna: Il tue tout le monde pour aider son peuple, les Israélites. C'est la mission que Dieu lui a assignée et c’est primordial pour lui. Pour Samson, la certitude absolue existe. Il ne faut pas oublier qu'il a été choisi par Dieu dès le début. Selon la Bible, un ange apparait à ses parents parle de Samson comme l’Élu alors qu’il est encore dans le ventre de sa mère. Il a grandi en sachant cela, avec la conviction jamais remise en question qu’il était destiné à libérer et protéger son peuple. […]

◙ Chaque rôle a ses surprises et ses défis. Qu’avez-vous remarqué de particulier chez Samson et Dalila, lorsque vous avez étudié le rôle ?

» Roberto Alagna: Etudier Samson, c’est un peu comme tomber amoureux. Au plus vous travaillez la partition, au plus elle vous apparaît multidimensionnelle et fascinante. Il est surprenant de voir à quel point cet opéra est riche en termes de mélodies, quelle atmosphère y règne. On y entend des phrases incroyablement émouvantes qui vous rappellent Puccini.

» Elina Garanča: Je trouve Dalila passionnante, parce qu'elle est un personnage complexe et à multi-facettes et que vous devez constamment penser en répétition : pourquoi dit-elle cela ? Est-ce qu'elle veut dire ça aussi ? Dit-elle des choses, parce qu'elle veut vraiment les dire ? Ou parce qu’elle doit les dire ? Ou est-elle déjà en train de manipuler et de tromper ? En réalité, présenter ces nuances est un vrai travail...

◙ Enfin, à propos de la musique: comment doit on chanter les deux rôles ?

» Roberto Alagna: Samson nécessite une tessiture relativement large vocalement, un peu comme Otello. La partition n'est pas très haute et ne comporte pas beaucoup d’aigus, mais les notes se situent dans le Passage, là où c'est le plus difficile pour le ténor. Mais le vrai défi est le phrasé et le texte : il faut en comprendre chaque mot et Saint-Saëns écrit de très longues phrases et lignes mélodiques. En outre : d’un côté Samson doit incarner une certaine maturité, mais aussi la jeunesse. Si vous chantez le rôle de façon « baritonale », alors il semble trop vieux. Vous avez besoin de brillance et de clarté vocales pour correctement positionner Samson d’un point de vue musical.

» Elina Garanča: J'ai toujours eu beaucoup de respect pour le rôle, décrié comme un rôle d’alto modéré. En fait, Dalila est un rôle incroyablement lyrique, que vous devez chanter de manière lyrique. Bien sûr, il y a quelques moments dramatiques, mais il s’agit moins de beugler avec la voix que de créer une expression.