2017 - ADRIENNE LECOUVREUR - CLASSIQUENEWS - JACQUELINE DAUXOIS
GRAND ENTRETIEN avec Roberto Alagna par Jacqueline Dauxois. Maurizio dans Adrienne Lecouvreur de CILEA
GRAND ENTRETIEN avec Roberto Alagna par Jacqueline Dauxois. A l’occasion des représentations à Monte Carlo d’Adriana Lecouvreur de Cilea (les 19, 23 et 26 novembre 2017), opéra dans lequel il interprète Maurizio, Roberto Alagna répond aux questions de Jacqueline Dauxois…et précise sa compréhension profonde du rôle, un homme qui aime en sincérité et non un séducteur habile…
Du lundi 6 novembre 2017 au jeudi 16, il y a eu neuf répétitions d’Adriana Lecouvreur à l’Opéra de Monte-Carlo. Le jour de la septième répétition, Roberto Alagna a répondu à deux questions, l’une sur son personnage, l’autre sur les difficultés vocales du rôle. Photo ci-dessous © Jacqueline Dauxois.
« Ne jugeons pas, aimons ! »
On sait qu’il aime tous ses personnages :
« Je suis tout le temps en train de les défendre, parce qu’on ne peut juger personne, il faut être dans la même situation pour comprendre les choses. Ne jugeons pas, aimons !
- Mais Maurizio est-il tellement sympathique ? La princesse de Bouillon l’appelle un « parfait séducteur » et Michonnet tente de décourager Adriana de l’aimer. Michonnet est jaloux, mais il n’a pas tellement tort de lui conseiller de se tenir à l’écart des grands puisqu’elle en mourra. Et lui, Maurizio, s’il est à ce point désespéré par la mort d’Adriana, n’est-ce pas parce que c’est lui qui a donné le bouquet fatal à la princesse de Bouillon ?
Il n’est séducteur que pour défendre sa cause et parvenir à monter sur le trône de Pologne. Il charme la princesse pour trouver des appuis et conquérir sa couronne ; il la séduit, mais cela lui pèse, puisqu’à un moment, il dit : Maudite politique…
Maledetta politica ! …
Maledetto il momento
Che accettai quei favori !…
Perder l’appuntamento con Adriana ? Mai !…
… qui m’oblige à accepter ses faveurs, car en les acceptant je manque mon rendez-vous avec Adriana. Il séduit les hommes aussi, par son courage. Il n’hésite pas à défier le prince qui, pour l’apaiser, prétend l’avoir provoqué pour rire. Et lui : Vous voulez rire de moi ?…
Maurizio (gravamente) : Principe, se ciò v’accora…
Sono agli ordini vostri…
Il principe (meravigliato) : Un duello ?
L’abbate (atterito) : A quest’ora ?
Il principe : Ridere noi vogliamo.
Maurizio : Ridereste di me ?
Il principe : Creditor mio voi siete.
Dans la réalité, Maurizio est un bâtard du roi. Il part avec ce handicap dans la course au trône, mais c’est peut-être ce qui fait qu’il n’hésite pas à quitter son milieu, à offrir sa gloire à une comédienne et à lui proposer de l’épouser. Il n’est pour rien dans l’histoire du bouquet empoisonné, c’est la vengeance d’une femme jalouse. Il le lui a donné pour se défendre d’avoir été retardé par un rendez-vous galant alors que des suiveurs cherchaient peut-être à le tuer et qu’il est arrivé à les mettre en fuite. Il est courageux, c’est un vaillant. S’il est séducteur, d’ailleurs d’un certain niveau, d’une certaine galanterie, c’est parce qu’il est diplomate ; il n’est pas un goujat puisque toutes les femmes l’adorent. Les hommes aussi. Il est aimé par tout le monde. La référence à Sarah Bernhardt rend Adriana encore plus touchante quand elle s’en va sur cette musique tellement nostalgique, tellement triste avec cette canne et cette jambe de bois, et Maurizio est plus noble encore puisqu’il lui propose de l’épouser malgré cette mutilation. Il est vraiment très noble, dans le vrai sens du terme, c’est un vrai héros.
Quelles sont les difficultés musicales du rôle ?
- Comme tous les ouvrages véristes, puisque Cilea appartient encore au vérisme, les difficultés vocales résident dans le fait qu’il faille énormément d’émotion dans certains passages pour montrer des sentiments très forts, très dramatiques qui usent vocalement. Si on se laisse aller complètement, on risque de mettre la voix à rude épreuve. Or, la musique demande que les chanteurs habitent leurs rôles et se laissent aller je ne dirais pas au cri, au hurlement, mais on n’est pas loin, et ces cris intérieurs, il faut les donner en gardant un certain contrôle. Il y a des passages difficiles comme l’air du russe Menchikov …
Il russo Mèncikoff
Riceve l’ordine di côrmi in trappola
Nel mio palagio…Era un esercito
Contro un manipolo, un contro quindici…
Ma, come à Bèndera Carlo duodecimo,
Nemici o soci contar non so…
…cet air-là, qui n’a l’air de rien, est d’une difficulté rare par le rythme, par la tessiture, par la fin qui se termine avec des aigus impressionnants qui s’enchainent et montent jusqu’au Si bémol. C’est peut-être un des airs les plus difficiles de l’œuvre. Jusqu’à del Monaco, on ne l’a pas chanté, ensuite il a été rétabli. Les duos sont dramatiques, ils s’envolent vers un aigu, en même temps, il faut que tout cela soit aisé et reste beau. Il y a un côté poète quelque part chez Maurizio, comme cette entrée : La dolcissima effigie…
La dolcissima effigie sorridente…
In te rivedo della madre cara ;
Nel tuo cor delle mia patria, dolce, preclara,
L’aura ribevo, che m’aprì la mente…
Bella tu sei, come la mia bandiera,
delle pugne fiammante entro i vapo,
tu sei gioconda, come la chimera
della Gloria, promessa al vincitor…
Bella tu sei, tu sei gioconda.
C’est curieux, pour un séducteur, de parler de sa mère et de son drapeau au moment où il veut faire la conquête d’une femme, c’est plutôt maladroit, c’est là qu’on voit qu’il n’est pas un vrai séducteur, mais sincère avec Adrienne. Les difficultés sont là, mais la musique est très belle et nous porte. Les rôles sont magnifiques. Celui d’Adriana, mais aussi la princesse, un des rôles les plus importants pour mezzo-soprano, celui du baryton est très émouvant, cet homme qui aime cette comédienne depuis des années, qui n’ose pas le lui dire et, quand il touche un héritage, il va presque tenter de lui proposer de se marier, mais revient en arrière dès qu’il s’aperçoit qu’elle aime quelqu’un d’autre. Les petits rôles de caractère aussi sont très bien définis. Il y a un plaisir de plus à savoir que l’histoire est tirée de faits historiques, transformés par les librettistes et Cilea pour en faire un opéra assez éloigné de la pièce, mais ce n’est pas grave et cette œuvre devient peut-être plus forte encore que la pièce dont elle est tirée parce que la musique embellit tout. »
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INTERVIEW Part I - ADRIANA LECOUVREUR | Roberto Alagna loves his characters and makes us love them: ❝I am constantly defending them, because we cannot judge others, we have to be in the same situation to understand how things work ... Don't judge, just love!❞
Translated from French - collected by Jacqueline Dauxois Classiquenews Classiquenews ► https://goo.gl/sdz1Zu
✪ What about Maurizio, is this character so likeable? Is there no any objections? Isn't it right that the Princess of Bouillon calls him a "perfect seducer"? If he is so desperate by Adriana's death, isn't it because he gave the deadly bouquet to the Princess of Bouillon?
✪ RA: ❝In another context, he would be called a diplomat. He is a seducer only to defend his case. He tries to recover his throne, as he claims the crown of Poland. He uses a strategy of seducing with men, the same with women. He offers the bouquet to the princess of Bouillon as an excuse to justify to have kept her waiting, but he did not come to offer flowers. He came to charm her as a diplomat. She tells him that he is a perfect seducer when he offers her the bouquet, which he did not intend to give him. He charms her, but it weighs on him, since at one point he says: "Accursed politics"...
<< Maledetta politica ! … | Accursed politics !...
Maledetto il momento | Accursed moment
Che accettai quei favori !… | Why did I accept these favours?
Perder l’appuntamento con Adriana ? Mai !… | Miss my rendezvous with Adriana? Never! >>
... which obliges me to accept his favors, because by accepting them I miss my appointment with Adriana, so his rendezvous with Adriana is more significant for him than politics, but he is obliged, in spite of himself, to do everything to recapture his throne. He seduces the prince too. He does not hesitate to challenge him. To appease him, the prince told him that he had provoked him for a laugh, and he: are you kidding me? ...
<< Principe, se ciò v’accora… | Your Highness, this affronts you
Sono agli ordini vostri… | I am at your disposal
Il principe (meravigliato) : Un duello ? | A duel?
L’abbate (atterito) : A quest’ora ? | At this hour?
Il principe : Ridere noi vogliamo | It was only a joke
Maurizio : Ridereste di me ? | Are you making fun of me?
Il principe : Creditor mio voi siete| I owe you something >>
... Actually, he is a bastard of the king, he leaves with this disadvantage in the running to the kingship, but it is also the reason why he does not hesitate to leave his social environment, to offer his glory to an actress and offer to marry her.
He has nothing to do with the story of the bouquet, it is the revenge of a jealous woman. He gives it to the princess, but it was a pretext, the princess thinks that this bouquet was perhaps the reason for his delay, while he was followed by people who might have killed him. He has already managed to chase them away. So he is brave, a seducer of a certain level, of a certain gallantry, he is not a boor, he is a valiant character. All women adore him, men as well. He is loved by all.
The reference to Sarah Bernhardt, who plays Adriana, gives an even more moving character, when she leaves on this music so nostalgic, so sad with this cane and this leg of wood. Maurizio is even more noble since he proposes to marry her despite this mutilation, he, who is a politician. He is very noble, in the true sense of the word, a true hero.❞
INTERVIEW Part II - ADRIANA LECOUVREUR | ❝This music requires that the singers live their roles and even let the feeling hold them, until almost crying [...] This work becomes even stronger than the drama from which it is inspired, because music beautifies everything❞
Translated from French - collected by Jacqueline Dauxois Classiquenews Classiquenews ► https://goo.gl/sdz1Zu
✪ What about the musical difficulties of the work?
✪ RA: ❝Like all verist works (since Cilea still belongs to verismo), the vocal difficulty lies in the fact that you have to convey a huge amount of emotion in some passages; that's what is exhausting in works like this one. In verismo, you have to show very strong, very dramatic feelings. Displaying such an emotion could be very tiring for the voice as far as you get into your character. If you let it go vocally, if you let you completely absorbed, you may place a big stress upon your voice. But if you stay cold, you will appear absent, you will not be in your character. Here, the music really requires that the singers live their roles and even let the feeling hold them, until almost crying, screaming ... we are not far. These inner cries, which are inside yourself, you have to render them with some care and control, because this music is really very lush and the orchestration powerful. Some moments are tricky such as the aria of the Russian, Menchikov...
<< Il russo Mèncikoff | The Russian, Menshikov,
Riceve l’ordine di côrmi in trappola | was ordered to trap me
Nel mio palagio…Era un esercito | in my palace... It was an army
Contro un manipolo, un contro quindici… | against a handful, fifteen to one.
Ma, come à Bèndera Carlo duodecimo,| But like Charles XII at Benderey,
Nemici o soci contar non so…| I could count neither friends nor enemies... >>
This innocent-looking aria is of a rare difficulty by the rhythm, by the tessitura, by the impressive ending top notes that chain each others, that go up, up, to B flat. It is perhaps one of the most difficult arias of the whole work. Until Mario Del Monaco, it was even not sung, then it was restored.
There are also great difficulties in the duets that are dramatic, fly to a top note, but at the same time, must sound easy and must remain nice. There is a poet's side somewhere in this seducer, this diplomat, this valiant personage, like in this introduction: La dolcissima effigie
<< La dolcissima effigie sorridente | In you I see again
In te rivedo della madre cara | The smiling image of my dear mother
Nel tuo cor delle mia patria, dolce, preclara | With you I breathe the sweet, clear air
L’aura ribevo, che m’aprì la mente… | Of my fatherland, where I was born...
Bella tu sei, come la mia bandiera | You are beautiful as my banner
Delle pugne fiammante entro i vapo | Flaming aloft in battle
Tu sei gioconda, come la chimera| You are joyous as the spectre of Glory
Della Gloria, promessa al vincitor…| Promised to the victor.
Bella tu sei, tu sei gioconda | You are beautiful, you are joyous >>
... It's a little strange, for a seducer, to talk about his mother and his banner, to conquer a woman. It's rather clumsy. That's where we see that he is not a genuine seducer. Rather a diplomat. And that he is sincere with Adriana, since he goes so far as to offer to marry her. The difficulties are there, but the music, very magnificent, carries us. The characters are all beautiful. Adriana is an amazing role, but also the princess, one of the most important parts for mezzo-soprano, the baritone's role is very touching, this man who loves this actress for years and does not dare to tell her... when he receives an inheritance, he will almost try to offer to marry him, but he gives up as soon as he realizes that she loves someone else. Small characters are also very well defined.
There is one additional pleasure: the story is drawn from historical facts, transformed by the librettists and Cilea to make an opera rather far from the theatre play, but it does not matter. This work becomes even stronger than the drama from which it is inspired, because music beautifies everything.❞
05/01/2018
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