Roberto Alagna

Roberto Alagna

DON CARLOS - Verdi - Paris

 

L'Oeuvre

 

Grand Opera à la française, en cinq actes de Giuseppe Verdi

Livret de Joseph Mery et Camille du Locle 

d'après la tragédie "Don Carlo" de Friedrich von Schiller

Créé le 11 mars 1867 à l'Opéra de Paris

Remanié en 1884, il devient Don Carlo pour la scène italienne. C'est dans la traduction italienne qu'il conquiert les scènes mondiales, donnant lieu au mythe d'une version italienne, alors que les deux versions (1866-67 et 1884) furent composées sur un texte français.

 

 

Calendrier

Théâtre du Châtelet

27 février 1996

01 mars 1996

04 mars 1996

07 mars 1996

10 mars 1996

13 mars 1996

16 mars 1996

 

Distribution

Karita Mattila : Elisabeth de Valois

Waltraud Meier : Princesse Eboli

Roberto Alagna : Don Carlos

Thomas Hampson : Rodrigue

José Van Dam : Philippe II

 

Direction Musicale : Antonio Pappano

Mise en scène : Luc Bondy

 

Interview 

Il y a dans son empressement à répondre aux questions quelque chose qui surprend. Roberto Alagna renvoie du tac au tac, c'est à peine s'il attend le point d'interrogation. Mal à l'aise mais résolu, comme devant l'aiguille d'une prise de sang. Dans ses premières phrases, toute sa détermination s'affiche et clignote comme un néon: il parle des collègues avec lesquels il partage la scène du Châtelet, de la qualité professionnelle qu'ils lui reconnaissent, du bagage qu'ils décèlent chez lui, de la ligne qu'il s'est tracée. Et, quand on l'interroge sur la nervosité du milieu lyrique dans lequel il baigne, il s'attribue le calme.

S'il bétonne ainsi, c'est peut-être et entre autres parce qu'Europe 1, il y a quelques mois, l'annonçait comme le ténor de l'an 2000. Autrement dit, le seul. Et le quotidien britannique The Independent traduisait sans équivoque: «Cet homme est-il le nouveau Pavarotti?» Quand on n'a que 32 ans, on peut légitimement sentir la pression s'exercer sur ses cordes vocales.

Tout a vraiment commencé en 1988, quand, quasi simultanément, Roberto Alagna est recruté par le très prestigieux Festival britannique de Glyndebourne pour sa tournée de Traviata, et qu'il remporte le concours Pavarotti à Philadelphie. Il refuse les propositions qu'on lui fait aussitôt: Metropolitan Opera de New York, Scala de Milan, enregistrement chez EMI. Il n'acceptera que bien après, au compte-gouttes. «Il fallait se protéger.»

Sans être Humphrey Bogart ou Yves Montand, Roberto Alagna rompt avec le genre grassouillet. Mais la compétition avec Pavarotti, aussi grossière soit-elle, dit bien ce dont Roberto Alagna est l'enjeu. Le public appréciera la noblesse d'une voix de baryton ou la gravité d'une basse, mais la folie est un accueil réservé au ténor. Le succès est proportionnel à cet effet spécial d'avant les effets spéciaux: l'anormal aigu masculin. La demande est à la mesure du plaisir, mais l'exigence aussi. Ténor léger, lyrique ou dramatique et autres sous-divisions, les interprètes savent a priori dans quelle catégorie ils boxent, sauf que rien n'est précis, figé. Une voix évolue, change, s'use. A chacun de s'essayer, d'oser franchir une démarcation, de se surveiller.

Roberto Alagna est au coeur de l'affaire. Sa voix lui permet de chanter Rodolphe dans la Bohème de Puccini, Alfredo dans la Traviata de Verdi. Mais on ne lui a proposé ni Idoménée (un Mozart trop sensible) ni Otello (un Verdi trop lourd). Le marché est plutôt friand de ses Faust et Roméo dans les opéras de Gounod. Car l'atout du jeune ténor, sa tessiture mise à part, c'est sa double identité: Français de parents siciliens, on ne peut souhaiter mieux pour un répertoire modelé sur la fluidité vocale italienne, partagé entre Gluck et Bizet, Bellini et Massenet. De quoi dissiper comme un mauvais rêve les prononciations mâchonnées des ténors américains qui mésarticulent Berlioz autant que Donizetti. Mais cette dualité n'est devenue que récemment une qualité. «Pendant des années, je ne savais pas quelle était ma nationalité, je n'avais pas de pays. Ici, ma famille restait repliée sur elle-même et quand nous rentrions en Sicile, c'était pour s'y sentir également étranger. Don Carlos, opéra italien chanté en français, c'était une sorte de réconciliation, pour moi qui ai toujours été déraciné.»

Mais le portrait ne serait pas complet et la fascination demeurerait inexplicable sans un élément déterminant, qui nourrit la légende encombrante de Roberto Alagna: le chanteur est sorti de nulle part. Mieux qu'un champignon, une truffe. Les biographies minutes racontent qu'il fut découvert dans une pizzeria, comme un nouveau-né dans un chou, par le fondateur du Festival d'Aix-en-Provence, Gabriel Dussurget, qui le remit entre les mains d'un agent artistique. Ce conte de fées ­ enrichi par son récent mariage avec la soprano Angela Gheorghiu, partenaire à la scène et à la ville: «Roméo a sa Juliette», titrait The Telegraph Magazine ­ a son revers.

Si le vieil homme n'a pas déniché le ténor dans une pizzeria, il n'empêche que Roberto Alagna a bel et bien fait ses débuts comme chanteur de cabaret. «J'ai commencé à m'intéresser sérieusement à l'opéra à 17 ans, avant je pensais que c'était impossible, trop difficile, que je n'en étais pas capable.» Un ancien contrebassiste, Rafael Ruiz, lui sert de professeur. C'est lui qui le convainc d'abandonner les variétés pour travailler sérieusement le chant. «J'étais professionnel depuis l'âge de 15 ans, j'avais un petit public, des gens qui me suivaient. Du jour au lendemain, plus personne. Il a fallu vivre de petits boulots, tenir le coup.»

Une fois acquis, le succès, lui aussi, coûte cher. Rarement autant qu'avec Roberto Alagna la critique a été aussi suspicieuse, moralisatrice, méticuleuse, épinglant chaque initiative. Une manière de tester le débutant, de le brider, qu'il rejette. Il n'avale pas qu'on ait mal reçu son interprétation de l'air de la fleur de Don José dans Carmen, achevée dans un filet de voix, presque androgyne. Certes, le brigadier macho y perd de sa virilité; mais le ténor se défend en soulignant une nuance triple piano que Bizet a placé là et que personne ne respecte jamais, préférant la puissance à un effet plus subtil. «Tous les ténors font du vocal, moi c'est la musique qui m'intéresse, de la première à la dernière note», lance-t-il pour défendre ses points de vue: il gomme certains effets traditionnels, certaines habitudes qui n'ont rien de musicologiques, privilégie la partition et se comporte en interprète. «Depuis le début, on m'a dit: Tu te trompes. Mais je n'en fais qu'à ma tête.»

Ce refus de lui accorder une personnalité est bien le reflet contradictoire de sa légende. Le milieu est réticent à adorer trop vite celui qu'on dit né de la dernière pluie; mais le fantasme que déclenche cet «enfant sauvage» est assez irrésistible: il traduit l'envie d'oublier que l'opéra est tout entier un artifice, pour mieux s'y baigner. D'où cet excès d'attentions étouffantes, à la fois mises en garde (ce Don Carlos dont on a prédit qu'il lui casserait la voix), comparaisons à outrance avec tous les ténors à la voix claire du passé, mépris et désir à la fois. Si Roberto Alagna est exceptionnel, aujourd'hui, c'est bien par les obsessions qu'il focalise et qu'il révèle, comme peu avant lui.

D'où son obstination à faire valoir son expérience et sa compétence. A expliquer que, si le travail qu'il a fourni jusqu'au milieu des années 80 était clandestin (plusieurs années à écouter tous les disques possibles et à chanter par mimétisme), il n'en est pas moins réel, même s'il n'est pas estampillé par une school new-yorkaise. D'où cet acharnement à revendiquer un statut normal, ni bon sauvage, ni star. Après tout, le capital popularité de Pavarotti (62 ans aujourd'hui) ne s'est-il pas amassé sur quinze années de promo intensive et après vingt-cinq autres passées sans tapage, en bon professionnel?.

Roberto Alagna en 9 dates 1963. Naissance à Clichy-sous-Bois.

1978. Débuts dans la chanson.

1988. Débuts sur la scène lyrique en Grande-Bretagne. Premier prix de la Pavarotti International Voice Competition à Philadelphie.

1990. Débuts à la Scala de Milan.

1992. Débuts à Covent Garden (Londres).

1993. Premiers engagements en France.

1994. Débuts à l'Opéra de Vienne.

1995. Premier disque-récital (EMI).

1996 (janvier). Version française de Don Carlos au Châtelet. Débuts au Metropolitan Opera de New York (avril).

Christian LEBLE

Revue de Presse

 

Le triomphe de Don Carlos
Joel Kasow, Culturekiosque, février 1996
 
PARIS - La course tant attendue de Don Carlos s'installe au Châtelet
pour sept représentations avant de partir vers les autres maisons qui
participé au financement de la production : Covent Garden à la fin de
cette saison et Bruxelles, Lyon et Nice la saison prochaine, les castings variant
selon les goûts et les budgets locaux. L'attention s'est portée sur
Roberto Alagna dans le rôle-titre comme il l'avait un jour envisagé
abandonnant son rôle comme trop lourd. Heureusement, il confond tout
ceux qui prophétisaient le malheur et la fin d'un talent spectaculaire avec
une représentation pleine d'énergie et le genre de chant auquel nous sommes parvenus
attendre. Qu'il chante en français était un grand avantage, semble-t-il
pour évoquer une réponse instinctive, une réaction dont nous avons déjà été témoins
dans des représentations de Roméo et Juliette ou de Faust. A un ou deux instants le
les passions sont venues au premier plan, mais au moment où la représentation a mûri, il
aura parfaitement calibré sa performance tout en conservant le
fraîcheur qui le rend spécial.
 
Un casting qui avait l'air fascinant sur le papier bien que follement
hétérogène avait été minutieusement préparé par le producteur Luc Bondy et
chef d'orchestre Antonio Pappano afin que leurs qualités disparates soient toutes
utilisé au maximum. Le Philippe II de José van Dam manque aujourd'hui de
les notes les plus basses du rôle, mais les complexités du personnage sont très
cadeau. Thomas Hampson dans le rôle central de Rodrigue, marquis de Posa
a chanté avec l'élégance que nous avons déjà remarquée dans ses premières entreprises
dans le répertoire français, profitant des opportunités supplémentaires qui lui sont offertes
dans cette version. Le bien chanté Grand Inquisiteur d'Eric Halfvarson n'a pas
effacer les souvenirs d'Hermann Uhde ou de Martti Talvela qui étaient
littéralement effrayant.
 
L'Elisabeth de Valois de Karita Mattila était en chair et en os,
peut-être plus que ne l'aurait permis l'étiquette de la cour, mais sa générosité
la performance dans tous les sens m'a laissé bouche bée d'admiration. Le
point faible était l'Eboli de Waltraud Meier, vocalement en mer même si
dramatiquement excitant.
 
Antonio Pappano mérite tout le mérite d'avoir amadoué l'Orchestre de Paris
pour donner le genre de performance dont ils devraient être régulièrement
capable. La production de Luc Bondy démarre raisonnablement bien, malgré les
touche occasionnelle pour indiquer qu'il y a un monde autour de la
protagonistes, mais après le premier intervalle, de tels incidents sont devenus
de plus en plus nombreux au grand malaise de nombreux spectateurs. Le
décors de Gilles Aillaud variaient d'un 1 et 2 atmosphérique à un
auto-da-fé tout en pin bon marché ou la chambre du Roi qui n'était pas aussi
étouffant à souhait. Les costumes de Moidele Bickel ont conservé une époque
saveur tout en ayant l'air de ne pas être à leur place aujourd'hui.
 
L'un des aspects les plus fascinants de cette production était l'utilisation de
le texte français d'origine qui s'accorde souvent mieux à la musique qu'au
Traduction italienne à laquelle nous nous sommes habitués. Bondy et
Pappano et Andrew Porter ont passé au crible les différentes partitions -
original, répétition générale, première, révision de Naples et finale
versions - pour proposer leur propre hybride, en insérant parfois plus tôt
matière au milieu d'ensembles resserrés plus tard (duo Philippe-Posa)
ou remplacer la version finale par la première (Act Four Quartet). Où
une section a été simplement coupée et jamais réintégrée il y a quelque chose à faire
dit pour l'exhumation. Mais l'occasion d'entendre une partie de la musique de Verdi comme
défini à l'origine, y compris les sections supprimées et jamais remplacées, est
unique. Vous pourrez juger par vous-mêmes lors du live de l'EMI
l'enregistrement est libéré.

 



05/02/2018